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Lost in Séduction

8 octobre 2006

L'été nippon

P1010028Deux heures.
Le désir est mince comme le papier crevé d’une porte coulissante.
Angoissante monte du ventre une chaleur familière comme les papillons de nuit prisonniers des fenêtres fermées.
Chaque point d’appui de mon corps gainé sur le tatami tressé soutient ma solitude.
Ecrasée ruisselante les bras en croix fermer les yeux ne plus respirer.
Demain encore le feu et l’eau cocktail infernal se livreront une guerre sans merci.
Ce pays me vide de ma substance.

J’ai soif.

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8 octobre 2006

Sex concept

Assise dans un café, Clara rêvait au sexe d’Aki. Comment elle le prendrait dans sa bouche, encore mou – elle l’aimait comme cela – comment il frissonnerait, se raffermirait, se déploierait sur sa langue. Clara faisait des fellations extraordinaires. Elle avait eu très peu d’amants, mais tous s’accordaient sur ce point. Elle avait sucé des sexes avant même de savoir faire l’amour. Elle avait sucé des sexes qui ne le méritaient pas. Elle regrettait souvent de n’avoir pas sucé celui d’Umberto, de ne pas l’avoir senti venir sur sa langue. Elle entendait encore les deux, trois jets brutaux qui étaient allés s’écraser contre la cuvette des toilettes ce matin-là, le matin où il ne lui avait pas fait l’amour. Quelque peu désolée, elle avait tenté de se rattraper en pliant soigneusement ses vêtements pendant qu’il se douchait, en lui préparant un petit-déjeuner avec ce qu’elle avait dans son placard d’étudiante fauchée.

Plus tard, elle avait compris que chez sa mère, où il habitait encore, il avait déjà quelqu’un pour lui plier ses vêtements et préparer son petit-déjeuner. Sans sexe, être avec elle ne devait faire absolument aucune différence. Il n’avait presque touché à rien, et quand il était parti, elle se doutait qu’il ne reviendrait plus, que ce n’était qu’une question de jours. Elle ne s’était pas trompée. D’un autre côté, se disait-elle souvent, il ne lui avait jamais rien demandé.

Le sexe d’Aki. Elle sortit brusquement de sa rêverie et regarda autour d’elle. Elle craignait toujours que cela ne transparaisse sur sa figure, d’être en train de sucer sa petite cuillère ou d’émettre un soupir involontaire. Bien entendu, cela n’arrivait jamais. Mais elle n’arrivait jamais, non plus, à se détendre tout à fait. Le désir lui venait si facilement. Elle ne comprenait toujours pas comment elle avait fait pour arriver intacte dans les bras d’Aki.

8 octobre 2006

Bacchanales et âmes sensibles

Ils vous font croire, les gens, que l’alcool résoudra tous vos problèmes. Au début, vous essayez d’avaler cul-sec la piquette infâme qu’ils vous font passer pour la boisson locale, donc cool, puisque vous êtes dans une école cool. Passé le baptême du feu, ils insistent pour que vous remettiez ça. Limite, ils vous mettraient un entonnoir dans la gorge. Quelquefois ça change, on vous sert du Martini, et c’est tellement plus classe de vomir du Martini que de la piquette, non ?

L’alcool m’a aidée à oublier le poivrot schizophrène à qui j’avais cédé sous l’effet de l’alcool, en somme je l’avais rencontré par l’alcool, et oublié par l’alcool, parce qu’en buvant de l’alcool il faisait des choses qui me faisaient souffrir.

L’alcool m’a aidée à oublier beaucoup de choses, l’alcool m’a fait vomir trois fois par semaine, perdre 4 kilos et le sens des réalités. Une année de fichue, sans même l’avoir vu venir, parce que les autres, dans les mêmes conditions, ils réussissent.

La vérité c’est qu’on m’avait vendu du rêve, et que je ne comprenais pas pourquoi le rêve s’était transformé en cauchemar.

Ils te disent de boire un coup, que ça te fera du bien. Et plus tu bois, plus tu t’enfonces, plus tu as besoin de boire, parce que ça fait quatre ans qu’ils boivent, ils doivent bien avoir une raison pour dire que ça résoudra tes problèmes, et que paumé, tu les crois. Boire leur merde, c’est être cool, et être cool, c’est tout ce qui leur reste, et à toi aussi.

Je suis une vaccinée des Bacchanales. Les autres continuent de boire et de se malmener les uns les autres en s’auto-persuadant qu’ils s’amusent. J’ai choisi mon camp, celui des anonymes qui se retrouvent autour d’un vrai bon vin et d’une assiette de spaghetti maison. A bon entendeur, salut.

8 octobre 2006

Rouge à lèvres

Le plus long bar du monde. C’est vrai qu’il est long, songea Sofiane accoudé au zinc du Shanghai Club.

Il était légèrement ivre. Il promena son regard aux quatre coins de la salle. Elle était remplie d’hommes et de femmes en costume sombre, l’air sérieux. Il y avait beaucoup d’Occidentaux comme lui, mais il n’était pas très sûr de ce qu’il voyait ; sa vue se brouillait, comme toujours entre chien et loup.

L’alcool lui parut amer. Il avait sans doute déjà trop bu. Sa collègue devait le rejoindre d’une minute à l’autre. Du moins le supposait-il ; elle était incroyablement en retard.

Il ne la connaissait pas encore. On la lui avait imposée ; son patron estimait qu’il trouverait plus sympathique de la rencontrer de façon informelle avant de commencer à travailler avec elle. Une blonde, lui avait-on dit. Il s’en moquait ; il préférait les Chinoises.

Il fixait le fond de son verre vide avec perplexité quand un nuage sucré l’enveloppa.

- Bonsoir, dit la femme d’une voix feutrée.

Il leva mollement la tête et ne vit qu’une chose : ses lèvres fines, rouges et brillantes, qui claquaient sur son teint de porcelaine.

- Excusez-moi pour le retard. Je me remettais du rouge à lèvres. Je n’étais plus très fraîche en arrivant.

- Ce n’est pas grave, balbutia-t-il, soudain plus énergique. Venez donc vous asseoir. Qu’est-ce que vous buvez ?

- Je préfère rester debout.

Il l’observa discrètement pendant qu’elle sirotait son ginger ale. Il se sentait comme environné de brouillard.

Après un temps indéterminé, elle posa son verre vide sur le zinc. Ses lèvres étaient nettement imprimées sur le bord. Par un tour de passe-passe inexpliquable, la laque qui les recouvrait était restée impeccable. Elle lui sourit.

- Avez-vous des instructions à me donner ? Dit-elle.

- Non, répondit Sofiane. Nous travaillerons ensemble à partir de demain matin.

- Dans ce cas, j’aimerais rentrer à l’hôtel. J’ai fait huit heures d’avion et je meurs d’envie de prendre un bain.

Sofiane la laissa partir sans faire un geste pour la retenir. Lorsqu’elle fut hors de vue, il prit le verre où elle avait bu, où s’était dédoublé son sourire, et en lécha discrètement le pourtour.

Il releva la tête, hébété. Il réalisa qu’il ne lui avait même pas demandé son prénom.

7 octobre 2006

1987

Un matin d'hiver, mon petit camarade Grégory se jeta au travers de la baie vitrée de l'école maternelle, sous les yeux horrifiés de la maîtresse et des autres gosses.
Par bonheur, nous étions au rez-de-chaussée.
Il venait de me dire qu'il en était capable. C'était réussi.
Par miracle, il n'eut que peu d'égratignures. Il se releva très fier de lui. Sa mère, une grosse brune, vint le chercher pour l'emmener chez le docteur. Même quand elle le gronda, il souriait encore de toutes ses dents de lait, de sa coupe en brosse et de ses taches de rousseur.

Grégory était un brave. Il n'hésitait déjà pas à se fourrer dans la bouche les coquillages de mon collier, recouverts d'un vernis très amer et que nous soupçonnions d'être toxique.
Comme sa mère, il disait beaucoup de gros mots. Il jouait au tennis derrière sa maison. Depuis la nôtre, il n'y avait qu'un champ à traverser. Une fois, j'allai jouer avec lui.
Sans s'y opposer frontalement, ma mère ne voulut pas que j'y retourne. Ce petit, semble-t-il, disait trop de gros mots.
Je ne me posai pas de questions, me contentant d'obéir, comme toujours.

J'étais à peine flattée de l'intérêt qu'il me portait, ne réalisant pas que toutes les petites filles n'y avaient pas droit. Grégory le brave, à peine une goutte d'eau à la surface de mon océan d'indifférence.

Vingt ans plus tard, je n'ai pas l'impression d'avoir beaucoup changé.

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